Jeu IRL (ft. Gadriel)

Cette journée de cours avait été horriblement longue à ses yeux. Même l'heure de cours sur l'allemand, pourtant sa langue maternelle, lui avait paru interminable. Chaque seconde le rapprochait de ses retrouvailles certes...mais chaque seconde semblait durer une éternité, comme pour le torturer un peu mieux.

Alors quand la dernière sonnerie a retenti, Enrick était le premier dehors. Marchant d'un pas décidé, le coeur battant, il était arrivé tôt dans le fameux parc de leur rencontre. Et il avait attendu, attendu, se demandant si il n'avait pas fait fuir celle qui faisait battre son coeur à 100 à l'heure... Il commençait à désespérer de la revoir jamais quand il l'aperçu au loin.

Elle était magnifique dans la lumière du jour, le bas du visage enfoui dans une écharpe. Oui vraiment, il comprenait pourquoi il l'aimait.

Mais bon, elle était en retard. Et Enrick avait une petite idée derrière la tête. Vérifiant que Hasu ne l'avait pas vu, il partit se cacher derrière un grand arbre afin de guetter sa réaction.

Hasu s'était finalement arrêtée et avait lâché un soupir. Enrick se dit alors que c'était le bon moment pour faire son entrée en scène. Imaginez le tableau : la jeune fille solitaire attendant son prince (eh, il était plus ou moins prince grâce à ses origines, non ?) dans le froid mordant, en proie à un désespoir grandissant... Et lui, qui arrive sur son cheval blanc, rayonnant pour venir chercher sa bien-aimée et l'enlever à ce monde banal afin de lui faire vivre une vie digne d'une princesse.

Bon ok, Enrick était en plein délire à l'eau de rose... La faute à l'école ! Ils étaient en train de lire un bouquin du Moyen-Age et forcément, ça l'influençait.

Revenant à la réalité, il sortit de derrière son arbre et avança à pas de loup dans le dos d'Hasu. Le tout était de ne pas se faire repérer avant d'avoir pu mettre son idée en pratique. Mais elle avait l'air perdu dans ses pensées -tiens lesquelles d'ailleurs ? rien de mauvais espérait-il- ce fut donc facile. Arrivé à sa hauteur, il la saisit par les hanches, l'embrassa chastement sur la joue et lui dit avec un grand sourire :

- Coucou toi. Tu m'as manqué.

Et c'était vrai. Il n'avait cessé de penser à elle tout au long de la journée, se repassant en boucle tous les scénarios catastrophes possibles de leur retrouvailles, et un moyen de tous les éviter par la même occasion. En un sens, elle ne l'avait jamais vraiment quitté puisque même dans ses rêves, elle avait été présente. Cependant, pouvoir la tenir dans ses bras maintenant était bien mieux que dans ses rêves.

-H-hey...

Au soupir de soulagement que Hasu avait laissé échapper, Enrick comprit qu'elle était tout aussi stressée que lui à l'idée de leur retrouvaille. Mais c'était bon maintenant, ils étaient à nouveau l'un en face de l'autre, si proche...

-Tu... attends depuis longtemps ?

Depuis longtemps ? Dès l'instant où il l'avait perdu de vue sur le jeu, il avait dû résister à l'envie de se retourner et de courir la rejoindre. Depuis hier soir, il n'aspirait qu'à la revoir. Alors les quelques trente minutes passées à l'attendre dans ce parc semblait bien dérisoires. Cependant, il n'allait quand même pas lui annocer comme ça ? C'était un peu trop gros comme déclaration pour un premier vrai rendez-vous...

- J'attends de te revoir depuis l'instant où je t'ai quitté...

Oups. Il avait bien fait une déclaration fleur bleue en fait...

-Ce parc me fait peur le soir. Il est trop calme.

Perdu dans ses pensées envers Hasu, Enrick ne s'était pas rendu que le ciel s'était assombri et que l'air était devenu bien plus frais. Alors que ce parc semblait idyllique au soleil, il était plus triste qu'autre chose une fois que la lumière l'avait déserté. Génial comme décor pour leur premier rendez-vous. Il pesta intérieurement, il aurait dû y penser !, et réfléchit à une solution.

Ils pouvaient partir en ville et aller manger un petit quelque chose ensemble. Mmh, mauvaise idée, il ne connaissait aucun endroit qui soit assez bien pour y emmener Hasu. Il restait bien une solution... Mais si il lui proposait, n'allait-elle pas croire qu'il essayait de la mettre dans son lit dès le début ? Pourtant, ce n'était pas du tout son intention ! Il voulait juste être avec elle en fait. Peut importe où, du moment qu'elle était là.

- Ça peut te paraître bizarre comme proposition...mais mes parents rentrent tard ce soir, comme tous les soirs quoi, donc on peut aller chez moi si tu veux. Mais ce n'est pas obligatoire ! On peut aller où tu veux sinon ! se dépêcha-t-il d'ajouter pour éviter tout quiproquo.

-Non, ça me va.

Elle avait accepté, vraiment. Super !! Donc elle allait venir chez lui. Et dans une soudaine illumination Enrick eut une vision d'horreur. Avait-il pensé à ranger sa chambre ?? La femme de ménage n'était pas venue aujourd'hui, c'était son jour de congé... Quelle manque de chance !

Alors qu'ils marchaient en direction de l'arrêt de bus, Enrick réfléchissait à tout ce qui pouvait traîner dans sa chambre. Normalement tout était rangé mais le stress montait.

Après un rapide trajet en bus payé de sa poche -il avait insisté pour malgré les protestations de Hasu- et quelques minutes de marche supplémentaires, ils étaient enfin arrivé devant sa maison. Enfin, maison était un terme qui convenait assez mal. Ses parents adoraient faire les choses en grand, et vu l'argent qu'ils gagnaient, ils pouvaient se le permettre. C'était pour ça que Enrick vivait dans un palace. Cette maison était immense mais il n'y avait souvent que lui et le cuisinier pour la remplir.

Guettant la réaction de Hasu du coin de l’œil, il annonça.

- Bon bah, on y est. Bienvenue dans la demeure des Hohenhart.

C'était souvent très gênant pour lui de montrer sa maison. Il avait l'impression de...comment dire, de se la claquer et d'étaler l'argent de ses parents. Mais pour tout dire, il aurait clairement préféré une maison moins grande, moins d'argent de poche et voir plus ses parents. Parce que à part le soir pour le dîner et quelques fois les week-ends, ils n'étaient guère que les photos qu'il voyait sur le buffet en sortant pour partir en cours chaque matin.

-Sois pas si crispé, c'est toi qui m'a invitée ! Tu peux toujours faire la blague du ''non, je rigole, c'est pas là chez moi'' si ça peut te rassurer.

- Bon idée celle-là ! Je la retiens pour une autre fois.

Hasu avait raison, c'était lui qui avait voulu venir ici. Il devait maintenant. Et puis, vu la blague que la jeune fille avait faite, elle devait connaître les maisons surdimensionnées.

Enrick la fit donc rentrer dans la maison, prit son manteau et l'invita à le suivre dans sa chambre. Il la précéda de quelques pas et jeta un rapide coup d'oeil pour vérifier l'état de sa chambre. Bon, a part ses affaires de cours qu'il avait lancé sur son bureau pour pouvoir partir plus vite rejoindre Hasu, tout était en ordre. Quel soulagement ! Aucun vêtement sale sur le sol, pas de papier de nourriture non plus, bref rien de méchant contrairement aux chambres d'ados qu'on voyait dans ces séries américaines.

- Voilà mon antre. Mets toi à l'aise et dis moi ce que tu veux faire.

C'était quand même surréaliste comme situation. Une fille magnifique se trouvait au milieu de sa chambre, en train de détailler ses posters au mur. Le nombre de fois où son grand-père l'avait embêté avec ça lorsqu'il venait les voir. Et il ne pouvait même pas lui dire ! Mais bon, pour le moment son grand-père était en Allemagne et lui était dans sa chambre, avec sa petite copine. Son cœur battait la chamade. Et maintenant ?

-Il faudrait que tu souffles un peu, tu sais ? J'ai plus envie de te tirer une flèche, maintenant !

Ah parce que cette menace était encore valable ? Enrick se promit intérieurement de continuer à faire attention aux flèches de Hasu sur GGO... Même si en attendant, elle avait encore raison. Pourquoi était-il si nerveux ? Sa chambre était rangée, ses parents n'allaient pas rentrer avec longtemps et sa petite amie qu'il attendait de revoir avec impatience se trouvait devant lui à le taquiner. Mais qu'est-ce qui n'allait pas alors ?! Il voulait que tout soit parfait, voilà ce qui n'allait pas. Et du coup il était en train de louper ce moment. Oh et puis zut ! Le stress, c'est nul.

N'y tenant plus, Enrick s'avança, saisit Hasu par les hanches et l'embrassa.

- Tu n'as peut-être pas tord. Mais comment profiter de ce moment alors ? lui dit-il d'un ton taquin après ce long baiser. Je te proposerai bien un jeu mais je vais te battre alors il vaudrait peut-être mieux éviter...

Connaissant Hasu, elle ne risquait pas de laisser passer cette provocation. Et vu ce à quoi il pensait, ça allait être drôle.

-Tu n'essaierais pas de faire une provocation, par hasard ?

Lui ? Il n'oserait jamais voyons !

-Tout dépend quel genre de jeu, mais pourquoi pas ?

Le genre de jeu ? Qu'elle se rassure, il n'allait pas sortir une paire de menotte et un fouet de son placard... Il n'avait jamais eu ce genre de chose ! Même pour jouer au policier étant petit. En même temps, à part embarquer ses peluches pour trafic de bonbons, il n'aurait pas pu passer les menottes à grand monde. Déjà à cette époque ses parents passaient beaucoup de temps au travail.

- Je comptais te proposer quelque chose de... spécial. Mon père à toujours voulu que je fasse du sport mais comme je parlais très mal japonais en arrivant ici, il a préféré faire venir le sport à moi. Du coup j'ai une salle entière au sous-sol remplie d'équipement de sport. Suis-moi.

Se faisant, Enrick descendit au sous-sol et alluma la lampe. La pièce était grande, oui, voire immense. Son père avait voulu qu'il ne manque de rien suite à son départ d'Allemagne. Et c'était réussi. On pouvait pratiquer beaucoup de sport dans cette salle. Panier de basket, but de foot, équipement d'escrime, etc... Mais le plus important se trouvait contre le mur du fond. Des cibles de tir. Pas à la carabine non. Du tir à l'arc. C'était bien l'arme d'Hasu sur GGO ? Eh bien, ils allaient voir si elle se débrouillait aussi bien IRL qu'IG. Et il lui réservait encore une petite surprise.

- Trois flèches chacun. Ça te tente ?

-Tu sais faire du tir à l'arc ? Je n'aurais jamais cru ça de toi !

Tout lui dire maintenant ne serait vraiment pas marrant. Autant la laisser constater elle-même.

- J'ai suivi quelques cours et j'arrive à toucher dans la cible maintenant !

Bon c'était à moitié vrai. Mais il avait vraiment mis du temps à réussir à planter une de ces maudites flèches dans la cible ! Il était assez empoté lorsqu'il avait commencé...

- En vrai gentleman, je te laisse commencer.

Lui montrant d'une main le mur où était accroché quelques arcs, il se recula derrière elle pour être sûr de ne pas devenir une licorne. Après tout, leur relation avait plus ou moins commencé avec ça... Et qui sait ce quelle idée pourrait avoir Hasu en prenant une flèche entre ses doigts. Elle était vraiment dangereuse sur GGO. Pourvu qu'elle soit quand même un peu différente IG...

Enrick eut un grand sourire en entendant Hasu jurer. Pas de visée assistée ou de craft cheaté sur cet arc. C'était bien plus marrant comme ça. Il la vit cependant se mettre en place, encocher une flèche et amener la corde jusqu'à sa joue. Eh ben, elle savait y faire en tout cas. Ses compétences sur GGO n'étaient pas seulement dues à la virtualité apparemment. Et cette impression se confirma quand Enrick vit la flèche se ficher juste à côté du centre, à un poil près.

- Bravo ! Tu te débrouilles bien ! lui dit-il en l'embrassant. A mon tour maintenant.

Il se dirigea vers le mur, prit un des arcs restant, se retourna... et remarqua la tête dépitée de Hasu. Il eut alors des hésitations à continuer ce qu'il voulait faire. Il pouvait peut-être viser un des bords non ? Non, Hasu verrait qu'il essayait de la faire gagner, et elle n'aimerait sûrement pas être traitée comme une petite chose fragile.

Advienne que pourra. Enrick prit place, encocha, visa puis tira. Pile au centre, comme de coutume. Il se permit même un petit soupir, soulagé. Il n'avait pas perdu la main ! Se retournant vers Hasu, il lui adressa un grand sourire innocent avant de dire :

- J'ai peut-être juste oublié de te préciser que j'avais fini classé à la compétition nationale en fait.

C'était une petite blagounette, rien de méchant non ? Si ?...

-Ah, oui, la compétition nationale ! Celle où sont jugés seulement ceux qui ont du temps à perdre, et de l'argent à dépenser !

Elle était vraiment vexée ?

-Mais... est-ce qu'ils jugent sur des tirs à plusieurs flèches, dans ta compétition ?

A plusieurs flèches ? Non jamais. Ça n'existait pas cette discipline en compétition... Son entraîneur lui avait bien fait essayer une ou deux fois mais c'était quasiment impossible avec des arcs lambda. Mais Hasu semblait déterminée à le faire. Elle avait encoché deux nouvelles flèches et commençait à bander son arc.

Les flèches partirent finalement. Et le résultat ne fut pas du tout à la hauteur des espérances de la jeune fille. La première n'avait même pas touché la cible et la deuxième s'était plantée dans le plus grand des cercles de la cible.

- Le tir à deux flèches est plus réservé aux films à vrai dire.

Sans attendre de réponse de sa part, Enrick attrapa aussi deux flèches, visa et tira... Comme il s'y attendait, aucunes d'elles n'avaient atteint la cible. Il n'avait jamais été bon avec plus d'une flèche. Lui et son coach l'avait vite compris... Et puis, vu l'entraînement hyper intensif qu'il suivait *hum*, il n'avait pas vraiment progressé.

- Bon bah, match nul. On a tous les deux gagné on va dire ! Se tournant vers elle avec un sourire taquin, il ajouta. Maintenant je réclame mon prix.

Saisissant Hasu par les hanches, il l'attira à lui et lui vola un long baiser. Honnêtement, il adorait ça.

-Tu es sûr que ce n'est pas plutôt moi qui ai gagné ? Parce que bon, si on compte le total des flèches, j'en ai eu plus que toi !

- Si on compte le nombre de flèches qui ont touché la cible, oui tu as gagné. Mais si on comptabilise les points, c'est une égalité.

Enrick lui aurait volontiers laissé cette victoire, il voulait lui faire plaisir autant que possible durant ce rendez-vous. Mais il aimait encore plus la taquiner... alors quoi de mieux que de chipoter pour la première place de cette petite compétition ? Après, il avait quand même déjà prit sa récompense et Hasu non. Cette récompense ne lui avait d'ailleurs pas déplu vu la façon dont elle lui avait rendu son baiser. Et puis ils étaient encore dans les bras l'un de l'autre. En un sens, c'était une récompense commune.

- Mais c'est vrai que j'avais juste parlé de flèches et non de points. Tu as donc gagné ! Que désirerait Madame comme prix de sa victoire ?

A elle de décider de la suite de leur rendez-vous maintenant.